Le gel des avoirs est une mesure drastique, mais pour les experts-comptables, c'est aussi l’occasion de jouer un nouveau rôle dans la conformité financière. Entre vigilance et rigueur, vous avez les cartes en main pour protéger vos clients et concourir à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. On fait le point.
Qu’est-ce que le gel des avoirs ?
Gel des avoirs : définitions
Le dispositif de « gel des avoirs » a été mis en place dans l’application des prescriptions de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité de l’ONU. Il s’agit d’une mesure juridique qui bloque l’accès d’une personne physique ou d’une entreprise à ses biens ou à ses comptes bancaires. L’objectif étant d’empêcher qu'ils soient utilisés à des fins illégales comme le financement du terrorisme. Cela peut concerner des fonds, des actions, des biens immobiliers ou toute autre forme d'actif. 💰
Les articles L 562-2 et L 562-3 du Code monétaire et financier ainsi que les règlements européens encadrent le gel des « fonds et ressources économiques » des personnes ou entités désignées :
- Le gel des fonds : Il interdit tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds, empêchant ainsi le changement de propriétaire ou d’usage.
- Le gel de ressources économiques : Il s’oppose à toute possibilité d’utiliser des biens pour obtenir des fonds, en les vendant ou en les louant.
Bon à savoir : Le gel n’entraîne pas de changement de propriété ni de saisie, mais musèle simplement leur utilisation. 🔒
Qui peut édicter des mesures de gel des avoirs ?
La prise de mesures en matière financières peut se faire à différents niveaux. S’agissant du dispositif de gel des avoirs, on distingue :
- Les mesures de gel internationales prisent par le Conseil de Sécurité de l’ONU
- Les mesures de gel européennes prisent par le Conseil de l’UE
- Les mesures nationales prisent par le Ministre chargé de l’Économie, parfois accompagné du Ministre de l’Intérieur
En tant qu'État membre de l’UE et adhérent de l’ONU, la France se doit de faire appliquer la totalité de ces mesures qui sont juridiquement contraignantes.
Qui est concerné par le gel des avoirs ?
Les mesures de gel des avoirs peuvent viser :
- 🙋 Les personnes physiques (individus),
- 🏢 Les personnes morales (entreprises, organismes publics, ministères, associations, fondations),
- 👿 Les groupements de fait sans statut juridique, tels que les groupes terroristes.
Dans le cas de ces groupements, il vous appartient de paralyser les avoirs des personnes physiques ou morales qui agissent pour leur compte.
Conséquences du gel des avoirs
- Les retraits d’argent sont interdits (sauf exceptions spécifiques).
- Les dépôts sur les comptes sont autorisés mais bloqués.
- Les virements bancaires sont stoppés dès qu'ils sont repérés.
- Les chèques émis après la mise en place du gel ne sont pas honorés.
- Les cartes bancaires sont désactivées.
- Les compensations (règlement des soldes entre banques) ne sont plus possibles.
- Les crédits ou prêts en cours ne sont plus débloqués.
- Les achats et ventes de biens sont suspendus.
Vérifier le gel des avoirs avec la liste
Pour faciliter la mise en œuvre des mesures de gel des avoirs, la direction générale du Trésor (DGTrésor) et l’Union Européenne (UE) publient des listes électroniques avec les personnes et entités concernées. 🗒️ Ces listes sont mises à jour dès qu’un nouveau règlement européen ou un nouvel arrêté entre en vigueur.
- Le registre national des gels des avoirs, aussi appelé « liste unique », est disponible sur le site de la DGTrésor. Il regroupe toutes les personnes et entités désignées par les dispositifs français et européens.
- La « liste consolidée » de l’UE, quant à elle, est accessible en anglais depuis le site du SEAE. Celle-ci ne concerne que les personnes et entités listées dans les règlements européens.
🚨 Enfin, outre les obligations nationales et européennes, les listes de gel des avoirs publiées par d’autres pays constituent des éléments d’informations complémentaires pour contribuer à la LCB-FT. De quoi vous assurer qu’aucun fonds gelé n’est manipulé et que vos clients ne sont pas touchés par ces mesures !
Que faire si un client est présent sur la liste de gel des avoirs ?
Qu’implique le gel des avoirs ?
👀 Les experts-comptables ont un devoir de vigilance. Ainsi, si une transaction implique des avoirs gelés, elle doit être immédiatement signalée par une déclaration de soupçon à Tracfin, organisme de lutte contre le blanchiment d’argent. Il est donc impératif pour vous de jeter régulièrement un œil à la liste des avoirs gelés !
Vérification de l’identité
Dans un premier temps, si vous découvrez qu’un de vos clients figure sur une liste de gel des avoirs, il faudra déterminer s’il s’agit bien de lui, ou simplement d’un homonyme. Ici que l'importance de la connaissance client prend tout son sens 🔍
Pour ce faire, on compare les éléments d’identification disponibles.
S’il s’agit d’une personne physique :
- Nom complet, y compris les noms d’usage et de jeune fille,
- Sexe,
- Pays de résidence habituel,
- Lieu et date de naissance (pays/ville),
- Profession,
- Adresse,
- Nationalité(s),
- Numéro de documents officiels (passeport, carte d’identité).
S’il s’agit d’une personne morale :
- Objet social et activité,
- Numéro d’immatriculation au registre du commerce ou équivalent étranger,
- Siège social ou lieu d’activité,
- Noms des dirigeants, représentants légaux et actionnaires.
Une fois la recherche terminée, deux scénarios sont possibles 🎬 :
- Le client n’est pas la personne ou l’entité désignée : vous pouvez lever l’alerte et continuer vos activités normalement.
- Le client est bien la personne ou l’entité désignée : vous devez appliquer les mesures de gel des avoirs et informer la DGTrésor.
Évidemment, en cas d’incertitude, il faut faire une « déclaration d’homonymie » à la DGTrésor le plus rapidement possible pour lever les doutes.
Afin d’éviter que les avertissements répétitifs concernant des homonymes n’entravent votre travail, il est possible de mettre en place un filtrage qui permet d’ignorer les alertes déjà résolues. Toutefois, ces clauses de « laisser passer » ne doivent pas vous détourner d’une fraude future. ⚠️
Impact sur les missions
L’étape primordiale repose sur l’identification de la typologie de missions que vous effectué pour votre client. En effet, si un de vos clients est officiellement concerné par un gel des avoirs, toutes les missions impliquant paiements ou recouvrements ne sont pas autorisées et doivent ainsi être suspendues, d’où l'importance d’identifier le type de mission effectué. Par exemple, tout paiement ou encaissement non exécuté dans le cadre d’une mission de mandat de paiement de dettes ou d’encaissement amiable de créances.
Ainsi, en application des articles 562-2 à 562-4 du Code monétaire et financier, toute opération qui serait contraire à une mesure de gel ou qui semble avoir pour but de contourner une telle mesure devra faire l’objet d’une information sous forme de courriel au Ministre chargé de l'Économie.
Pour le reste, c’est à chaque expert-comptable de juger si la poursuite de la relation est envisageable, en gardant bien en tête que cela peut avoir un impact sur la réputation du cabinet.
Quoi qu’il en soit, dès lors que votre client est concerné par de telles mesures, peu importe le type de mission, il faut a minima le classer comme à risque élevé en matière de LBC-FT et renforcer les diligences.
Quand faut-il effectuer une déclaration de soupçon à Tracfin ?
Lorsqu’un client apparaît sur la liste de gel des avoirs, la déclaration de soupçon n’est pas systématique. Elle est obligatoire, en revanche, lorsque vous savez ou soupçonnez que les fonds proviennent d’une activité illégale passible d’une peine de prison supérieure à un an ou qu'ils participent au financement du terrorisme. 💸
En cas de suspicion de fraude fiscale, la déclaration de gel des avoirs à Tracfin ne doit être faite que si au moins un des 16 critères définis par le décret n°2009-874 du 16 juillet 2009 est rempli.
Parmi ces critères, vous trouverez par exemple :
- La réalisation d’une transaction immobilière à un prix manifestement sous-évalué
- Le transfert de fonds vers un pays étranger suivi de leur rapatriement sous la forme de prêts
- La réalisation d’opérations financières par des sociétés dans lesquelles sont intervenus des changements statutaires fréquents non justifiés par la situation économique de l’entreprise
Pour rappel, toute transaction avec un pays sous embargo ou sous sanctions internationales doit faire l’objet d’une attention particulière. Pour autant, elles ne sont pas forcément interdites. A vous d’analyser chaque situation avec soin ! 💪