Très prisées des organisations criminelles, les cryptomonnaies offrent de nombreuses possibilités pour blanchir de l’argent rapidement, à faible coût et en toute discrétion. Mixeurs, privacy coins, plateformes d’échanges… Les techniques de dissimulation ne manquent pas et sont de plus en plus sophistiquées. Alors, comment fonctionne le blanchiment de cryptomonnaies ? Comment réguler ce secteur d’activité ? On fait le point. 🦸

Pourquoi les cryptomonnaies sont-elles utiles au blanchiment d’argent ? 

Le blanchiment d’argent, c’est la méthode qui consiste à donner une apparence légitime à des fonds obtenus de manière illicite. On parle très couramment d’« argent sale » pour définir ces sommes provenant d’activités illégales (drogue, vol, fraude fiscale…). Blanchir cet argent consiste à le réinjecter dans des activités légales pour en dissimuler son origine et ainsi ne pas attirer l’attention des autorités. 🥷Et avec leurs caractéristiques, les cryptomonnaies sont particulièrement utiles pour ce processus.

Anonymat

Contrairement à d’autres méthodes de paiement traditionnelles, les cryptomonnaies assurent un niveau d’anonymat élevé. L’ensemble des transactions réalisées sont pourtant enregistrées dans un registre public : la blockchain (une sorte de grand livre de comptes en ligne, parfaitement consultable). Mais l’identité des vendeurs et des acheteurs n’est jamais révélée. Les transactions se font de personne à personne, d’un portefeuille virtuel à un autre, sans passer par aucune autorité centrale qui contrôle et régule les opérations. Et seule l’identification (l’adresse) des portefeuilles impliqués dans l’opération est visible. Or, ces adresses crypto ne sont pas directement liées aux noms et prénoms d’un individu, à la différence du compte bancaire (pour lequel la banque réalise en plus des formalités de vérification d’identité). 

Les transactions réalisées en monnaies virtuelles sont donc difficilement traçables et ne sont soumises à aucun contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT). Sauf lorsqu’elles se font par le biais d’une plateforme servant d’intermédiaire, auquel cas, des procédures de connaissances clients peuvent être mises en œuvre. 

Cette faille s’est encore aggravée avec l’apparition de cryptomonnaies confidentielles (comme Zcash ou Monero) spécialement conçues pour empêcher tout recoupement des transactions effectuées, et ainsi offrir un anonymat encore plus solide et une parfaite intraçabilité.

Mobilité et extraterritorialité

Contrairement aux monnaies traditionnelles, les cryptomonnaies permettent de transférer rapidement et facilement de l’argent à l’échelle mondiale, sans les restrictions des systèmes bancaires classiques. Les criminels peuvent ainsi exploiter les différences de réglementation entre les pays pour blanchir l’argent sale plus efficacement. En quelques instants, les sommes sont déplacées d’un compte numérique à un autre, et quasi immédiatement accessibles à des utilisateurs anonymes répartis partout dans le monde.

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Le blanchiment d’argent via les cryptomonnaies : comment ça se passe ? 

Les cryptomonnaies offrent aux criminels un large éventail de possibilités pour blanchir des fonds rapidement et à moindre coût. Voici quelques-unes des techniques les plus courantes : 

Cryptomonnaies confidentielles 

Certaines cryptomonnaies sont conçues pour garantir un anonymat total de ses utilisateurs grâce à des technologies avancées de cryptographie qui masquent les détails des transactions. Là où les monnaies virtuelles plus traditionnelles (comme le Bitcoin) laissent apparaître dans la blockchain le solde d’une adresse et les transactions effectuées d’un portefeuille à l’autre, les privacy coins dissimulent tous ces renseignements. C’est le cas par exemple de Monero, Dash, ou encore Zcash, qui utilisent des techniques de chiffrement, de signature en anneau et d’adresse furtive pour dissocier totalement les transactions effectuées de l’identité des utilisateurs. 

Mixeurs de cryptomonnaies

Les mixeurs de cryptomonnaies, ou tumblers, sont des services qui permettent de mélanger les fonds de nombreux utilisateurs avant de les redistribuer, rendant ainsi la traçabilité impossible. Très concrètement, les utilisateurs envoient leurs cryptomonnaies à une adresse fournie par le mixeur, une sorte de « pot commun », dans lequel tous les fonds sont soigneusement mélangés. Ils sont ensuite fractionnés en petites sommes et redistribués aux utilisateurs à de nouvelles adresses, sans lien direct avec les dépôts initiaux. Et pour renforcer encore davantage l’anonymat, les mixeurs introduisent souvent des délais aléatoires entre les transactions et redistribuent les fonds en montants choisis au hasard, empêchant toute correspondance entre virements entrants et sortants, et rendant donc impossible l’identification des transactions.

Portefeuilles intermédiaires 

Les cybercriminels utilisent parfois plusieurs portefeuilles intermédiaires pour transférer des sommes d’argent de manière fragmentée et ainsi rendre plus opaque l’origine des fonds. Mais comme les transactions sont de toute façon enregistrées dans la blockchain, cette technique n’empêche pas la traçabilité des fonds et ne constitue donc généralement qu’une première étape dans le processus de blanchiment. 

Plateformes d’échange de cryptomonnaies 

Les plateformes d’échange de cryptomonnaies sont souvent utilisées pour convertir des fonds d’origine illicite en différentes monnaies virtuelles ou en monnaies réelles. Les utilisateurs peuvent ainsi effectuer des dépôts sur la plateforme, échanger leurs fonds en cryptomonnaies différentes ou en monnaies réelles, puis les retirer en espèces, ou déplacer leurs actifs vers d’autres portefeuilles ou plateformes. Chaque transfert, retrait ou conversion, ajoute une couche de complexité et de dispersion, rendant le suivi de l’origine et de la destination des fonds extrêmement difficile. D’autant que la blockchain ne laisse apparaître qu’une synthèse des différentes opérations effectuées. Les détails de ces transactions ne sont enregistrés que dans les bases de données des plateformes utilisées. 

Échanges imbriqués 

Les plateformes d’échanges imbriqués offrent à leurs utilisateurs des services de trading, c’est-à-dire d’achats et de ventes d’actifs sur le marché des cryptomonnaies, par l’intermédiaire d’autres plateformes d’échanges plus importantes. Elles réalisent les opérations et conservent une commission d’intermédiaires dans la transaction. Les échanges imbriqués doivent également respecter les règles de transparence et de sécurité, notamment en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, comme le prévoit l'article L561-5 du Code monétaire et financier. En outre, les échanges imbriqués sont soumis à la surveillance de l'Autorité des marchés financiers, qui vérifie leur conformité aux dispositions législatives et réglementaires applicables. Or, ces plateformes d’échanges imbriqués sont très largement laxistes en matière de procédures de connaissance client (KYC), voire n’en ont pas du tout. 

Protocoles DeFi 

Les protocoles de finance décentralisée (DeFi) proposent des services liés aux cryptomonnaies sans intermédiaire centralisé (comme Binance ou Coinbase). Les fonds sont alors gérés par une série de contrats intelligents hébergés sur la blockchain. Or, les échanges décentralisés n’exigent pas la création d’un compte et n’impliquent aucune vérification de l’identité des utilisateurs, permettant ainsi de prêter, emprunter ou échanger des cryptomonnaies de manière relativement confidentielle. Ceci étant, là encore, rien n’empêche la traçabilité des fonds puisque toutes les transactions sont enregistrées sur la blockchain. L’utilisation d’un protocole DeFi peut toutefois faire partie d’une première étape dans un processus de blanchiment ensuite plus élaboré.

186 000 déclarations de soupçons en 2023 

📜 En tant que professionnels assujettis à la LCB-FT, les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) sont soumis aux mêmes obligations déclaratives que les institutions financières traditionnelles. Ils doivent ainsi adresser un signalement à Tracfin à chaque transaction suspecte pouvant être liée à des activités de blanchiment d’argent ou à tout autre crime financier. Un rapport est ensuite publié chaque année, détaillant l’activité déclarative des professions assujetties et permettant d’orienter les actions de régulation et de contrôle.

Le rapport Tracfin de 2023 fait état de plus de 186 000 déclarations de soupçons, provenant pour la très large majorité du secteur financier (94 %). Bien sûr, tous les signalements ne sont pas liés à l’écosystème des cryptomonnaies. Mais les PSAN sont tout de même à l’origine de 1449 déclarations de soupçons en 2023, soit une hausse de 339 % par rapport à 2022 ! Preuve d’une forte mobilisation des professionnels de ce secteur, ce boom déclaratif s’explique aussi et surtout par le risque très élevé associé aux actifs numériques en matière de BC-FT. Un lien encore souligné dans la dernière analyse sectorielle de l’AMF publiée en juin 2024.

9 infos clés sur les opérations atypiques

Comment réguler le blanchiment des cryptomonnaies ? 

⚖️ Une harmonisation des réglementations est indispensable pour lutter contre le blanchiment des cryptomonnaies, qui sont par nature des actifs transfrontaliers. En France, la loi Pacte de 2019 est venue transposer dans le Code monétaire et financier la 5e directive européenne anti-blanchiment, qui prévoit notamment : 

  • Une obligation d’enregistrement en tant que PSAN auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour proposer des services d’achat/vente, d’échange, de conservation de cryptos, ou d’exploitation d’une plateforme de négociation. Ce statut garantit que les entreprises respectent bien les différentes réglementations LCB-FT, en particulier les procédures de vérification de l’identité des clients.
  • La possibilité d’obtenir un agrément facultatif de l’AMF pour toute société exerçant une activité en lien avec les crypto-actifs, à condition de répondre à d’importantes exigences en matière d’organisation, de ressources financières et de conduite de l’activité.

Pour aider le grand public à identifier les entreprises fiables dans ce secteur, et à l’inverse, celles ne respectant pas la réglementation, l’AMF met régulièrement à jour différentes listes disponibles sur son site, parmi lesquelles : 

🔎 En juin 2024, 112 plateformes étaient enregistrées en tant que PSAN auprès de l’AMF, contre une seulement ayant obtenu l’agrément. Une tendance nécessairement amenée à évoluer avec l’entrée en vigueur du règlement européen « MiCa » (markets in crypto-assets) le 29 juin 2023 et celle du règlement « TFR » (Transfer of Funds Regulation) sur le contrôle des transferts de fonds liés aux cryptomonnaies. 

➡️ Destiné à instaurer un cadre réglementaire harmonisé dans l’Union Européenne, le règlement MiCa établit une définition précise des crypto-actifs, mais surtout, prévoit une procédure unique d’agrément obligatoire pour tous les prestataires proposant des services dans ce domaine.

➡️Le règlement TFR, quant à lui, impose aux PSCA (anciennement PSAN) d’avoir connaissance de l’identité du donneur d’ordre et de celle du bénéficiaire lors de chaque transfert de fonds, assurant ainsi une meilleure traçabilité des transactions.

📜 Après une période transitoire pouvant s’étendre jusqu’au 30 juin 2026, ces 2 règlements entreront pleinement en application et instaureront une réglementation harmonisée au sein de l’Union européenne, plus efficace pour lutter contre le blanchiment et toute autre forme de criminalité financière.

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